Un peu d’histoire

“L’architecture existe aujourd’hui sous deux formes : sa réalité construite, que nous allons éprouver physiquement, et puis son image photographiée, ses dessins, ses photos de maquettes même, qui viennent à nous dans les publications. Je les mets sur le même plan alors que, classiquement, il y a le réel et sa représentation : bien sûr, l’épreuve de vérité c’est le réel construit. Mais la vérité c’est que nous n’avons pas pu voir le dixième de ce que nous connaissons par l’image.

Cette multiplication des images de projets que presque personne ne pourra aller voir, c’est une richesse mais c’est surtout un danger. S’est instauré un statut nouveau de l’image d’architecture, du document photographique : figure métonymique, morceau qui parle plus fort que le tout, effet spécial, icône, instrument de communication autonome, détaché de la connaissance de l’espace réel.

Le dessin, tant son trait est codé, est clairement distinct de la réalité qu’il représente. Avec la photographie, le décalage entre réalité et image devient très ambigu. La photo se donne pour le réel, et de ce fait la distorsion est inévitable, manipulable, intéressante parfois. Mais un bon projet est un projet qui est plus dans sa réalité qu’en image.

Peut être alors dans le livre nous est restituable une cohérence globale qui touche à la vérité du projet (un mauvais projet peut faire une image saisissante mais pas un livre).

Peut être est-ce même seulement dans le livre que toute la relation entre projettation et perception peut s’établir.”

 

Christian de Portzamparc

La visualisation architecturale est à la confluence de plusieurs disciplines artistiques. 
Son but, mettre en scène une architecture, fait appel à un savoir et des techniques venant en partie de la peinture et de la prise de vue photographique tout en restant un outil de conception et de communication pour les projets architecturaux. 

L’histoire de cette discipline est assez difficile à retracer, principalement par manque de documents. En effet, si il existe de nombreuses œuvres architecturales ancienne, antiques et parfois millénaires, pour leurs représentations, il est difficile de trouver des témoignages plus anciens que la période des prémices de la renaissance (début du 13e siècle).

“Jusqu’au XIIIe siècle, on ne trouve aucune trace de représentation d’édifices qui pourraient être assimilables ou directement comparables à ce que nous entendons aujourd’hui par dessin d’architecture. C’est à dire aucune image où l’édifice est le sujet unique de la représentation. En effet que ce soit dans les enluminures des manuscrits dans les livres d’heures ou bien dans les fresques peintes, les édifices représentés qui sont principalement des édifices religieux, sont toujours partie prenante d’une scène, ils s’inscrivent toujours dans une composition où les personnages, les acteurs ont autant d’importance, si ce n’est plus, dans la lecture de l’image que l’édifice lui même : scène de la vie religieuse, ouvriers au travail…

Ce n’est que vers 1250 que commencent à apparaître des dessins approchant des critères de comparaison que nous avons donnés, et tout au long des XIVe et XVe siècles ils vont se multiplier. Quant à la perspective, on ne verra en France, ses premières formes apparaître que plus tard, au XVe siècle.”

J.M. Savignat

 

haut-gauche : peintures murales de l’abbaye de St Savin (86, XIe-XIIe siècle) – gauche ; Les évangiles d’or d’Henri II (1043-1046) – haut-droite : La construction de St Jacques de Compostelle – Guillaume Dubois (XVIe siècle) – droite : Tapisserie de Bayeux (1066-1082) – bas-gauche : Pèlerins devant l’église du Saint-Sépulcre gardée par des Sarrasins. Le Livre des merveilles du monde. (copie du XVe siècle) – bas-droite : La nouvelle Jérusalem, Tenture de l’apocalypse (Angers 1373-1382)

Avant cette période, chaque corps de métier réalise des croquis ou des plans côtés qui vont permettre la bonne réalisation du projet. La plupart du temps ces “croquis” seront réalisés sur une pierre qui sera par la suite utilisée dans cette même construction, du plâtre réappliqué à chaque version du dessin ou des parchemins, ce qui rend donc les traces de ces représentations particulièrement rares. 

La création de dessins de façades ne vient que dans une optique de communication auprès des commanditaires et même du public pour des constructions souvent religieuses.

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Fragments de dessin sur une pierre de l’Hospital St. John l’Evangeliste, Cambridge, UK, XIIIe s..

Dessin sur le sol de la cathédrale de York, 14e siècle.

Plan de la façade de la cathédrale de Strasbourg (1260)

Fragments de dessin sur une pierre de l’Hospital St. John l’Evangeliste, Cambridge, UK, XIIIe s..

L’utilisation de maquettes est fréquente et permet à la fois de faire comprendre le projet aux clients et de servir de référence aux différents intervenants dans le chantier.

Gian Pietro Fugazza, maquette en bois de la Cathédrale de Saint Etienne de Pavie, dessinée par Giovanni Antonio Amadeo, et Giovanni Giacomo Dolcebuono, cyprés, érable et chêne, Italie, XVe-XVIe siècle.

Maquette réalisée par une équipe d’artisans supervisée par Antonio Labacco, Cathédrale de St Pierre, construite selon les dessins d’Antonio da Sangallo, 1539-1546.

Les origines

Différentes œuvres littéraires font allusion à la méthode que formalisera par la suite Leon Battista Alberti en 1435 dans  le  traité  “De Pictura” où il définit les règles mathématiques de la décroissance de la profondeur peu après leurs “redécouverte” et surtout leurs mise à l’épreuve par Brunelleschi .

Mais les œuvres de Platon, Euclide, Cicéron et d’autres laissent penser que les grecs et les romains avaient une connaissance de ce principe bien que  les preuves tangibles manquent.

De pictura: ‘general schema of legitimate construction’ (schema generale della costruzione legittima), by da Alberti Leon Battista, 16th Century, paper manuscript, mm 215 x 155

De pictura (De la peinture) est un traité de peinture écrit en 1435 dans sa version latine, en 1436 dans sa version italienne par Leon Battista Alberti. Il sera imprimé pour la première fois en 1540 à Bâle sous la direction de Thomas Gechauff. C’est le premier opus de sa trilogie de traités des arts majeurs qui a été largement diffusée pendant la Renaissance, il fut suivi par De re aedificatoria (1454) et De statua (1462).

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Ce sont ensuite des écrits provenant des Royaumes musulmans, des traités scientifiques principalement (Al-Kindi, De radiis stellarum, IXe, Ibn al-Haytham, Kitāb al-Manāẓir, 1011-1021), qui conservent et développent ce savoir pendant plusieurs siècles avant d’être repris par des auteurs britanniques puis italiens jusqu’à Alberti.

Les premiers pas

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Cette fresque est considérée comme représentative de la longue évolution des peintres romans et gothiques, qui au 14e siècle commencent à intégrer une notion de rapport à la réalité dans leur œuvre. 

Les artistes ne se contentent alors plus de répéter différents modèles codifiés comme c’est le cas durant la longue période de l’art pictural roman et gothique ou le rapport à la réalité est totalement occulté pour laisser la place au narratif des images et à leurs symboles religieux.

On peut voir le modelé des volumes grâce aux ombres et lumières et une notion de perspective dans la réduction des différents plans au fur et à mesure de leur éloignement, deux éléments complètement nouveaux à cette époque.

A gauche : La Foi de Giotto 1306

Mais c’est un peu plus tard à Filippo Brunelleschi, le bâtisseur du dôme de la cathédrale de Florence en 1436, qu’est attribuée la « découverte » des principes de la perspective à un où plusieurs points de fuite en 1425 environ. 

Ce sont ces premières visualisations réalistes, donnant une mesure du bâtiment, de son allure et des ses détails qui ont servi à l’architecte, comme aujourd’hui, à communiquer sa vision à ses commanditaires.

A droite : étude de perspective, de Filippo Brunelleschi, vers 1420, Florence, XVe siècle

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L’architecture dans la peinture classique

Cela marque aussi l’apparition de l’architecture comme élément à part entière de la peinture classique et devient par cette utilisation une œuvre visuelle affranchie de son aspect utilitaire au profit de la reconnaissance de ses qualités esthétiques et symboliques. 

 

C’est grâce aux techniques du dessin en perspective que l’architecte peut extraire son œuvre des contraintes structurelles, mécaniques, budgétaires, temporelles, pour n’en garder pour un temps que la partie la plus libre, une chimère esthétique, définie uniquement par ses formes, ses proportions, ses teintes, ses détails, ses ornements, sa lumière…

 

L’architecture avait trouvé, renouvelé son meilleur ambassadeur, l’art pictural.

Le dialogue entre ces deux disciplines n’a depuis jamais connu de temps mort.

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La citée Idéale – auteur inconnu 1223

Saint Bruno examine un dessin des thermes de Dioclétien, emplacement de la future chartreuse de Rome
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Eustache Le Sueur – Plan de la Chartreuse de Paris

Eustache Le Sueur – Plan de la Chartreuse de Rome

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École de Sebron – Vue intérieure de la cathédrale de Milan – 1841

Hubert Robert – Ruines avec une obélisque dans le lointain – 1775

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Giovanni Paolo Panini – Le cardinal Melchior de Polignac visitant Saint-Pierre de Rome 1730

Les débuts de la représentation architecturale moderne

Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle un long débat occupait les enseignants et praticiens de l’époque concernant la place de la pratique du dessin dans la formation des futurs architectes.

Giovanni Bottari, un scientifique florentin, considérait que pour être bon, un architecte devait avant tout être bon dessinateur mais de nombreux détracteurs en Italie comme en Espagne apportent la contradiction à cette thèse et se méfient foncièrement d’une attention trop grande portée à cette discipline qui risque à leurs yeux de faire perdre aux élèves les qualités techniques et scientifiques indispensables à un bon architecte.

Évoluant entre ces deux tendances, la représentation architecturale se rapprochera graduellement des arts graphiques.

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Pierre-François-Léonard Fontaine, Un monument sépulcral à l’usage des souverains d’un grand empire – 1785

Et c’est en France que cette évolution fut la plus radicale sous l’influence de l’Académie Royale d’Architecture qui servait avant tout à distinguer les meilleurs architectes de la profession en vu de travailler pour les projets royaux. Pour cela, l’institution proposait des cours magistraux publics, de théorie architecturale et de mathématiques dans ses locaux au Louvre et organisait un concours annuel de dessin, le Grand Prix. Son évolution, comparée à celle des concours des pays voisins, permet de comprendre le chemin pris par la représentation architecturale en France.

En effet ce sont très rapidement des images non cotées et clairement destinées à séduire un MOA éventuel qui vont remporter les premières places de ces concours. Viendront ensuite l’utilisation de plus en plus fréquente des couleurs et des arrières plans paysager.

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Jean-René Billaudel, Un salon pour des académies – 1754

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Giovanni Campana, Une chapelle sépulcrale – 1795

Nicolas Le Camus de Mézières écrivait dans Le Génie de l’architecture ou l’analogie de cet art avec nos sensations en 1780 :

« L’architecte le plus intelligent ne peut espérer de réussir qu’autant qu’il aura fait son dessin en conséquence de l’exposition du soleil qui éclaire les parties latérales de l’édifice à construire. Il faut que, comme un habile peintre, il sache profiter des ombres, des lumières, qu’il ménage ses teintes, ses dégradations, ses nuances, qu’il mette dans le tout un véritable accord et que le ton général soit propre et convenable ; il doit en avoir prévu les effets et être aussi circonspect sur toutes les parties que s’il en avait un tableau à produire.»

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Charles Percier, Une ménagerie – 1783

R. Buckminster Fuller. Dymaxion House, project (Perspective). 1930

Les images d’architecture en tant qu’objet d’art

Å la fin du XXe siècle un vaste mouvement de redécouverte du patrimoine de la représentation architecturale a vu le jour. Plusieurs institutions on commencé à considérer les dessins préparatoires comme des œuvres à part entière et on donc cherché à en acquérir de plus en plus. En parallèle de nombreuses démarches privées de galériste on suivi le même chemin en exposant et vendant ces dessins.

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R. Buckminster Fuller. Dymaxion House project (Plan, deck-tensioning pattern). 1927-29
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Yona Friedman. Spatial City Project (Perspective). 1958-59

En outre le débat sur la place du dessin dans la formation architecturale a fini par basculer très clairement à l’avantage de la pratique du dessin et la considération de ce dernier comme sujet d’étude à part entière. Cette évolution et l’apparition d’un nombre toujours plus important de publications architecturales a donc engendré une augmentation notable de la pratique et de la disponibilité de ces œuvres.

Mais le phénomène réellement marquant des années 70 et 80 est l’accession l’entrée des ces dessin architecturaux dans les collections publique et privée d’amateurs les considérant au même rang que des œuvres classique des beaux arts.

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Michael Webb. Furniture Manufacturers Association Headquarters, project, High Wycombe, England, Elevation. 1957-1958

Une de ces collectionneuse de la première heure est Barbara Pine qui commença a réunir les œuvres de différents architectes contemporain dès le début des années 70 et étant au conseil du MoMA elle prit une part importante dans l’acquisition de dessin d’architecture du musée.

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Richard Meier

La galerie SPACED de Judith York Newman à New York vu le jour quelques année plus tard exposant des dessins et des modèles. Ses expositions ont fait entrer ces dessin dans la sphère des œuvres d’art aux yeux du public et des critiques plus habitué aux différent courants de l’art contemporain. 

Les premières ventes du MoMA de dessin d’architecture datent elles aussi de cette période (1975).

L’année suivante ce sont les dessins de l’École des Beaux Arts de Paris qui sont présenté au MoMA. Deux cent dessins sont alors exposés dont certain datant de l’Académie Royale. L’effet fut énorme et le parti pris du musée habituellement ancré dans la défense d’une approche moderne de l’art en opposition avec le classicisme et la tradition qui sont la définition même de l’Académie et par la suite des de l’École des Beaux Arts a propulsé la discipline dans le monde des controverses artistiques. Mais c’est aussi à cette occasion que les dessins ce sont affranchis de leur aspect utilitaire, de leur finalité construite pour n’être considérés, jugés et appréciés que pour eux même.

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Aldo Rossi, Gianni Braghieri. Cemetery of San Cataldo, Modena, Italy, Aerial perspective. 1971
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Cedric Price. Potteries Thinkbelt Project, Staffordshire, England (Perspective of Battery, Sprawl, and Capsule Housing, Hanley Site). 1964–1966
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Paul Rudolph. Lower Manhattan Expressway Project, New York, New York (Perspective to the East). 1972
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Peter Cook. Plug-In City, project (Axonometric). 1964
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Rem Koolhaas, Madelon Vriesendorp. The City of the Captive Globe Project, New York, New York, Axonometric. 1972
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Ron Herron. Cities: Moving, Master Vehicle-Habitation Project, Aerial Perspective. 1964
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Steven Holl. Gymnasium-Bridge, project, New York City, New York, Perspective. 1977

Sources : 

L’image en architecture : De la représentation et de son empreinte utopique – J.- P. Jungmann

 

Basile Baudez, « L’Europe architecturale du second XVIIIe siècle : analyse des dessins »
https://journals.openedition.org/lha/543

 

A Global History of Architectural Representations – Jordan Kauffman
https://gahtc.org/modules/preview/74

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